Pour ce cinquième numéro, votre magazine Vision croisée a décidé de mettre l’accent sur le visage français des entreprises dans l’est de Montréal. Sous la forme d’une enquête express, nous recueillons les témoignages de citoyens, de travailleurs et d’entrepreneurs qui fréquentent des commerces et services dans les arrondissements de Saint-Léonard et d’Anjou. Dans cet article, Vision croisée vous relate à quel point l’usage du français est quasi incontournable dans les petits commerces, restaurants, cafés et services administratifs de ces secteurs.

Entre Anjou et Saint-Léonard, il n’y a qu’un pas pour franchir la frontière terrestre. Mais ce qui unit ces deux arrondissements montréalais est loin d’être une route ou un pont. C’est le français. Cette langue aux divers accents toniques est un signe du brassage culturel qui résonne dans les cafés, restaurants, épiceries, centres commerciaux et bureaux de Saint-Léonard et d’Anjou. Ce n’est pas Sonia Boutazir qui dira le contraire. « Je fais mes courses dans les deux quartiers. Je trouve que le français est très utilisé dans les commerces. Moi je m’exprime aussi en anglais, mais je suis beaucoup plus à l’aise en français », nous confie celle qui réside à Anjou.

Pas de « bonjour, hi » !

Tout comme Sonia, une autre citoyenne d’Anjou laisse entendre que dans la majorité des commerces qu’elle visite dans son arrondissement ou à Saint-Léonard, les employés l’accueillent en français. Elle entend rarement le fameux « bonjour, hi », en dehors du dépanneur au rez-de-chaussée de son immeuble. « Moi, je parle plusieurs langues, notamment le français, l’anglais, des dialectes de mon pays d’origine et une langue pakistanaise. Quand je vais magasiner, je m’exprime toujours en français et on m’accueille en français », raconte Shabnam Ahmad, une Montréalaise d’origine afghane qui a immigré au Québec en 2013.

En parcourant la plupart des rues de Saint-Léonard, Anjou et leurs centres d’achats, vous allez vous rendre compte que le français « saute aux yeux » à travers les différentes enseignes. Pourquoi ? Cela pourrait s’expliquer par « la forte présence de communautés immigrantes » dans la région, pour qui le français est la langue commune.

Effectivement, selon les données de Statistique Canada en 2016, on se rend compte que beaucoup d’habitants de ces deux arrondissements sont des immigrants, ou ont au moins un de leurs parents nés à l’étranger. À Saint-Léonard (plus de 78 000 habitants), bien qu’on y trouve plusieurs langues, dont l’italien, l’arabe, l’anglais, l’espagnol et le créole, on note que les trois quarts de la population active parle exclusivement français dans leur milieu de travail. Du côté d’Anjou (près de 43 000 habitants), plus d’un résidant sur deux est issu directement ou indirectement de l’immigration. On note que parmi la population de 15 ans et plus en emploi, près de 80 % utilisent le français comme seule langue au travail !

Le français enraciné

Avec ces chiffres, est-il possible de se lancer en affaire sans usage du français à Saint-Léonard et Anjou ? Ce serait difficile, si l’on en croit Sofiane Boubchir, propriétaire de la boulangerie Cœur d’amande, située sur la rue Jean-Talon à l’angle de la rue de Bellefeuille. Dans une entrevue accordée à Vision croisée, le commerçant témoigne de « l’importance du français » dans son quotidien d’entrepreneur.

Originaire d’Algérie, Sofiane reconnaît qu’il parle couramment « kabyle », sa langue maternelle, avec sa conjointe à la maison ou sur son lieu de travail. Mais lorsqu’il s’agit de la clientèle de la boulangerie, les échanges se font généralement en français et très peu en arabe, sachant que des personnes d’origine maghrébine comme lui fréquentent son commerce. Le patron de Cœur d’amande va plus loin en précisant que même quand il reçoit des personnes originaires d’Amérique latine, cette clientèle l’aborde en français. Une raison de plus pour ce boulanger de croire que le français est incontournable, voire « un avantage » pour la survie de sa boulangerie.

Pour autant, peut-on nier la présence de l’anglais dans les lieux de travail, restaurants, cafés, boutiques et services dans les arrondissements de Saint-Léonard et d’Anjou ? « Je me suis déjà rendu dans des boutiques où j’ai trouvé des clients s’exprimer en anglais avec les vendeurs. Le service est offert en français en général, mais il y a des gens qui sont plus à l’aise en anglais, parce qu’ils viennent de régions où on parle couramment anglais. Cela est tout à faire normal ! », fait remarquer Sonia Boutazir, qui relève que dans beaucoup de dépanneurs, des gérants accueillent la clientèle en anglais.

C’est le cas de Shabnam, qui soutient que lorsqu’elle se rend au dépanneur situé au rez-de-chaussée de l’immeuble où elle habite, le gérant – d’origine chinoise – a tellement de difficulté à s’exprimer en français qu’elle préfère l’anglais. « Heureusement, j’ai appris à parler l’anglais après avoir suivi des cours de francisation quand j’ai immigré au Canada », clame cette résidente de Saint-Léonard qui croyait que tout le monde parlait français à Montréal et au Québec, seule province unilingue au Canada.

L’anglais, incontournable ?

Josiane*, une conseillère en emploi du secteur de Saint-Léonard témoigne de l’utilisation de l’anglais dans son lieu de travail. « Je travaille généralement dans un environnement francophone. Cependant, il m’arrive d’utiliser occasionnellement l’anglais lorsque, par exemple, j’interagis avec des employeurs anglophones. Le bilinguisme n’est pas une exigence de mon employeur, mais un atout qui m’a permis d’évoluer dans mon domaine professionnel », nous explique-t-elle.

« Il m’arrive de faire affaire avec des employeurs qui désirent embaucher de la main-d’œuvre bilingue, surtout dans le domaine de la vente ou du télémarketing. Parfois, la connaissance d’une troisième langue comme l’arabe, ou l’espagnol est souhaitée en fonction de la clientèle desservie », ajoute-elle.

Josiane, habituée des petits commerces, révèle que dans certains endroits à Anjou, tout comme à Saint-Léonard, on entend les gens parler anglais et d’autres langues du fait de « la forte présence de restaurants exotiques dans le coin ». Elle précise de plus que l’anglais est beaucoup prisé par les Italiens qui, à n’en point douter, sont très bien représentés dans la zone. « Sur la plupart de leurs commerces, appuie-t-elle, on retrouve des écriteaux en anglais ».

Malgré tout, Josiane estime qu’on ne peut pas parler de recul du français à Anjou et Saint-Léonard. Au sein de sa propre entreprise, « les clients qui arrivent s’expriment principalement en français », dit-elle. Parlant de l’usage du français dans certains espaces, notre interviewée tient à tirer son chapeau aux Galeries d’Anjou. « Là-bas, se réjouit-elle, c’est que du français que j’entends ! »

Nouvelle enquête sur les exigences linguistiques auprès des entreprises

 

La récente « Enquête sur les exigences linguistiques auprès des entreprises, des municipalités et des arrondissements de Montréal », réalisée en 2020 par l’Institut de la statistique du Québec pour le compte de l’Office québécois de la langue française (OQLF), soulève qu’une forte proportion d’organisations exige ou souhaite des compétences linguistiques particulières au moment du recrutement de nouveaux employés. Toutefois, l’OQLF estime que cette proportion varie selon le secteur et la langue concernés.

Cette étude témoigne des exigences exprimées par un échantillon de 2 460 établissements, représentatif de l’ensemble des 97 528 entreprises québécoises employant 5 personnes et plus, ainsi que des exigences formulées par les 181 municipalités québécoises de plus de 5 000 habitantes et habitants et les 19 arrondissements de Montréal.

Il est bon de rappeler que la Charte de la langue française confie à l’OQLF de surveiller l’évolution de la situation linguistique au Québec et d’en faire rapport tous les cinq ans au ministre responsable. L’Office a également pour mission d’assurer le respect de la Charte et de veiller à ce que le français soit la langue d’usage au travail, dans les communications, le commerce, les affaires et l’administration.

 

Source :  Enquête sur les exigences linguistiques auprès des entreprises, des municipalités et des arrondissements de Montréal, 2020