par: François-Xavier Garneau

Madame Fifi Mayesi a immigré au Québec depuis la République du Congo en 2001. Elle est propriétaire depuis 2020 du restaurant Fimo, sur la rue Jarry à Montréal, un établissement gourmand qui met à l’honneur la cuisine de son pays natal, et plus largement les cuisines africaines. Elle jouit d’un succès dont l’origine relève de trois éléments clés : sa personnalité énergique, son sens du travail et son talent en cuisine. Afin de partager avec les lecteurs-trices son parcours professionnel et sa relation à la langue française, Mme Fifi a eu la gentillesse de s’ouvrir à Vision croisée.

« Baigner dans un milieu de travail où les gens s’expriment en français québécois, du matin au soir, contribue à ce que sa couleur linguistique s’inscrive automatiquement dans son esprit. »

Toujours active, Mme Fifi combine deux emplois. Elle travaille à la fois dans les cuisines du collège Mont-Royal et à son restaurant. Étant donné les circonstances liées à la COVID-19, elle se consacre aux commandes en ligne et aux livraisons, la salle à manger étant fermée.* Elle a accepté le deuxième poste après qu’une amie lui ait suggéré sa candidature « pour compenser un peu les factures », avance-t-elle d’un ton jovial. Cette jovialité représente bien son caractère optimiste qui contraste avec la situation difficile dans laquelle elle se trouve. « C’est très difficile, en ce moment, il faut avoir une bonne mine, se tenir debout », ajoute-t-elle, avant de préciser qu’un « samedi peut devenir comme un lundi », soulignant l’imprévisibilité de la situation actuelle quant à l’achalandage des commandes.

Une passion qui remonte à l’enfance

Mme Fifi entretient une passion pour la cuisine depuis qu’elle est toute petite. Déjà à l’âge de 12 ans, elle préparait, épaulée par sa mère, les repas pour toute la famille. Pendant cette période, ses techniques culinaires se développent en apprenant les recettes traditionnelles de son pays, les sauces, la coupe des viandes, etc. Les yeux brillants, elle lance une phrase simple qui résume sa passion : « J’aime ça faire la bouffe pour tout le monde, pour que les gens mangent ! ».

L’ouverture de son restaurant en 2020 représente pour elle un accomplissement auquel elle aspirait depuis longtemps. En République du Congo, avant son arrivée en terre québécoise, elle effectue avec sa sœur plusieurs contrats de service traiteur auprès d’hôtels. Une fois arrivée au Québec en 2001, plusieurs années s’écoulent avant l’ouverture de son restaurant. Au cours de ces deux décennies, Mme Fifi a eu plusieurs emplois : elle commence en travaillant dans les manufactures, « comme tout autre immigrant qui essaie de découvrir les opportunités disponibles ici. » Puis elle suit des cours de préposé aux bénéficiaires avant de travailler pendant dix ans en centres d’hébergement, un milieu de travail qu’elle a beaucoup aimé.

En 2014, alors que l’établissement où elle travaille ferme ses portes, elle décide de se réorienter et de revenir à son ancienne passion : la cuisine. Pendant neuf mois, elle suit des cours de cuisine avec un objectif en tête : ouvrir son propre restaurant. Entre-temps, elle devient chef des services alimentaires dans un centre d’hébergement, où elle développe ses habiletés de gestion d’équipe.

Le français : une langue qui lui tient à cœur

En arrivant au Québec, Mme Fifi s’exprime dans sa langue maternelle, le lingala, et parle déjà français, une langue qu’elle appris à l’école primaire. Mais ce français, comme elle l’avance, est différent du français que l’on retrouve à Montréal : « Ce n’est pas le même français qu’on parle chez nous que le français qu’on parle ici. » Elle eut d’abord quelques difficultés à comprendre, puis s’est habituée peu à peu à l’accent et aux expressions qui lui étaient inconnues. Un conseil donné par une amie l’influence : écouter les humoristes québécois à la télévision !
Toutefois, pour Mme Fifi, la technique idéale pour s’acclimater au français québécois est de s’immerger complètement dans le milieu de travail. Une technique qui lui convient étant donné qu’elle cherchait activement à consacrer son temps à un emploi, dès sa venue au Québec. Comme elle le spécifie, baigner dans un milieu de travail où les gens s’expriment en français québécois, du matin au soir, contribue à ce que sa couleur linguistique « s’inscrive automatiquement » dans son esprit. « Quand tu arrives au Québec, tu dois apprendre à parler français », insiste-t-elle. Mme Fifi est en effet très sensible à l’importance de parler français à Montréal, en particulier dans les commerces et les restaurants. Questionnée sur le sujet, elle répond sans hésiter, « on est au Québec, et ici, on parle en français ».

Cette restauratrice congolaise est d’ailleurs très attachée à la langue française. Alors qu’elle habitait encore dans son pays natal, elle enseigne à son premier fils dès son jeune âge les rudiments du français par des expressions comme : « viens manger », « assieds-toi » ou « va dormir ».

« Le français n’est pas mort à Montréal. Il est vraiment bien vivant »

« Le français n’est pas mort à Montréal. Il est vraiment bien vivant », signale-t-elle. En effet, la plupart des clients-es qu’elle sert dans son restaurant communiquent avec elle en français. Elle précise même qu’elle préfère parler français plutôt qu’en lingala, avec ses clients congolais. Et pour ceux et celles qui ne sont pas en mesure de s’exprimer en français, par gêne ou par choix elle leur suggère d’essayer. À une personne l’ayant contactée en anglais pour travailler dans son restaurant, elle répond qu’elle ne peut pas l’engager si elle n’apprend pas le français.

Tournée vers l’avenir
Mme Fifi est un peu anxieuse face à la réouverture éminente des salles à manger. Recevoir un grand nombre de clients d’un seul coup chez Fimo l’inquiète quelque peu, elle qui tient fermement à satisfaire sa clientèle, peu importe les circonstances ou l’achalandage. Deux choses néanmoins la motivent grandement : cette passion qu’elle entretient depuis toute petite pour la cuisine et son amour du français. Parions que le retour à la normale sera positif pour Mme Fifi, cette femme travaillante au sourire contagieux.

*L’entrevue de Mme Fifi avec Vision croisée s’est déroulée en mai 2021, avant l’annonce d’allègement des mesures autour des salles à manger de restaurants.